Ayoub Moumen, la révolution aux ciseaux

Ayoub Moumen, la révolution aux ciseaux

6 min read  —  May 22, 2021

by Camille Laurens

(Special French Edition)

Symbiose d’univers entre deux âmes sœurs, La France et Tunis, le travail du créateur Ayoub Moumen revendique un militantisme à l’aiguille. Entre performance, cri et création, Ayoub outrepasse les codes. Portrait d’un rêveur engagé entre tissus, activisme et Catwalks.

“Pour moi la mode est un vecteur d'expression, de changement et de révolution. La puissance du vêtement dépasse largement la question sociale, elle est politique, vitale, bouleversante”, la messe est dite. 

Le créateur Ayoub Moumen est un jeune homme magnétique, ambitieux mais surtout (r)évolutionnaire, la mode semble être pour lui un volcan puissant, capable d’ébranler les mentalités. A l’image de son atelier, Ayoub bouillonne, en douceur certes, mais sa vision dépasse largement les murs de ce dernier. Des bouts de tissus nappent un bureau rempli de dessins, d’inspirations, de croquis, “je suis toujours en réflexion, je pense à ma prochaine collection … mais aussi à une performance sur la lapidation, en ce moment, je m’entraîne à m’agrafer le corps pour rendre mon propos plus incisif. Mais aussi aux 40 modèles du défilé, qui sont déjà quasi-prêts. Il y aussi un court-métrage animé que je dessine et la calligraphie …” Décidément Ayoub surprend d'autant plus qu’il touche à tout. Pour le désigner, les médiums se répondent avec fluidité. La mode, la performance, la danse sont autant d’esquisses d’un même plastron. L’un dans l’autre, la mode acquiert un statut nouveau : celui d’artctivisme. 

Art et politique : Charybde et Scylla de la mode

Et c’est au cœur du 1er arrondissement, à la cité internationale des arts, que l’imaginaire foisonnant d’Ayoub peut déployer toute sa liberté et son exubérance : “cet atelier est un laboratoire de créations ”. Tel un chimiste, le créateur destructure, ose, recycle à partir des stocks de Guerrisol dont il est partenaire. Selon lui, la mode est un terrain d’expérimentation sans limite, dont les seuls « borders » devraient être l’imagination. “Je suis réfugié politique en France depuis 2015 car en Tunisie j’ai milité pour les droits en faveur des LGBTQI au prisme d’une association impactante. De par mon histoire et mes origines, je suis militant, je suis activiste. Lutter fait partie de mon quotidien. La mode est mon vecteur de guérison. La création me soigne, mais plus encore, elle m’accompagne dans ma vie d'où mon studio R.E.W”R.E.W, comprendre Refuge Engaged Wear, à savoir la marque de vêtement créateur de Ayoub.

Car jusqu'à ses 23 ans, Ayoub a grandi à Tunis, où il évolue avec brio à l’école internationale Esmod. Mais à la suite d’une manifestation et de menaces concrètes, le créateur doit s’exiler. Autant une force, qu’une souffrance, cette rupture est un moteur : “ Il y a surtout le manque maternel. Mais aujourd’hui, je me sens chez moi ici. Mes racines restent présentes en moi, mon statut de réfugié aussi mais je me projette en France. Mon histoire me pousse à être engagé, tous les jours, tout le temps, je suis un homosexuel libre, prêt à défendre mes rêves” affirme Ayoub. Et tant mieux.

“La mode n’est pas là pour faire rêver comme le dit Karl Lagerfeld”

Lorsqu’il arrive en France en 2016, le créateur que l’on perçoit comme “eco-punk”, bouleverse les codes parfois sclérosés du vêtement. Déjà en 2015, sa collection Ivresse divine reçoit le 1er prix du concours Jeune créateur de la Fête internationale de la mode 2015.

Et les suivantes seront des plus inventives et conceptuelles, en somme à son image : corrosives. De No Border, à Boulimia, en passant par Contamination - des noms qui font étrangement échos à l’actualité- l’artiste provoque grâce à des pièces qui vont à l'encontre des normes classiques textiles mais surtout en y intégrant un spectre performatif. “J’ai essayé d’être juste dans l’exercice plastique mais aujourd’hui la démarche, le Work in progress est plus important que le produit fini. Dans les maisons classiques, on réduit à néant le processus, je trouve cela aberrant". 

Pour Ayoub, l’idée, la création, le défilé, les mannequins mais aussi les spectateurs sont des facettes primordiales dans son travail, chacun devient moteur de la création. L’artiste se considère comme “plasticien”, facteur primordial pour comprendre l’entité de son travail. Le vêtement prend part à un ensemble artistique, il est un moyen de communication et non une fin. Du festival Visions d’exil 2019 au Musée national de l’histoire de l’immigration en passant par l’Open Mode festival, Ayoub propose des défilés performance osés. Comme à Lyon, au Subsistance, pour “On marche sur des œufs", l’artiste intègre une atmosphère sombre, sanglante, pour choquer les interlocuteurs allant jusqu’à agrafer à même le corps, le prix des vêtements dont ils projettent l’image. Chacun peut y aller, poinçonner sa peau. Le but ? Tester les limites, la volonté, l'intérêt des gens face à mon art. “Pour moi, l’aspect binaire de la mode est old school. L’un dans l’autre, le créateur s’inspire de sa communauté et vice versa. J’ai voulu mettre en exergue cette fusion entre tous les acteurs d’un show “

Défilé contamination novembre 2019 - Musée de l’histoire de l’immigration Paris 

Mode démodée et vision visionnaire

Résolument engagé, Ayoub l’est aussi dans sa conception des produits. Pour lui, l’upcycling et le détournement sont les bases d’une mode consciente qui doit mettre à mal les oeillères des maisons mères “la Fashion Week, le mépris des travailleurs et de la chaîne de fabrication sont autant de facteurs qui m’ont poussés à m’épanouir indépendamment des LVMH et autres réf. L’approbation d’artistes cultes undergrounds comme Vava Dudu m’ont permis de croire en moi et en ma vision de plasticien, c’était beaucoup plus cohérent”. Dans les collections d’Ayoub, tout est minutieusement pensé pour être le plus green, le plus écologique. Sa matière première ? Des cartons remplis de pièces récupérés chez Guerrisol après leur avoir proposé un partenariat. Mais aussi et surtout ses anciennes collections ou chaque pièce est repensée selon l’inspiration nouvelle: “Tu vois ces deux pantalons cousus ? Lors de mon dernier défilé, c’était en bas, pour la prochaine, je pense le transformer en robe”. No limite pour Ayoub, les bottes deviennent des tops, les gants de cuisine sont de parfaits outfits, mais un leitmotiv le fait encore plus vibrer : rendre l’invisible, visible. Dans chacune de ses pièces, les coutures subliment le vêtement qui dévoile ce que la mode s’attache tant à cacher “pour que la mode puisse changer le monde, il faut que l’industrie change de l’intérieur. Pour moi, je veux montrer les entrailles du vêtement pour mieux leur rendre hommage. Dans toutes mes recherches, je décortique la matière, le textile pour dévoiler. Être transparent, c’est habiller différemment”

Des pièces uniques aux messages puissants, comme lorsqu’il fait sortir ses mannequins d’une eau sale, à la fois rappel aux migrants et symbolique de la pollution, décidément le créateur ne laisse rien au hasard. Chacun(e) de ses “défilé performance” semble provoquer autant de surprises que de soutien. Une nouvelle vague prêt à déferler met à mal à une industrie qui se meurt face à l’émergence de figure bras levée.

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